750 grammes
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Ptipois, le guide

Ptipois, le guide
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10 septembre 2011

La Compagnie de Bretagne (Paris)

hermines

Ceci n'est pas une crêpe.

Voici (ci-dessus) ce que nous avons longuement eu devant les yeux l'autre soir. Pourtant il n'y avait pas que ça à regarder ; le décor luxe maritime New England gris-noir-blanc ne manque pas de charme. Les familles chrétiennes du 7e arrondissement peuvent venir sans crainte, tout est clean et il y a de la place (salle à l'étage, tables au sous-sol). Certains détails coincent (un tableau douteux au-dessus de notre table), mais l'ensemble en jette, surtout l'escalier qui mène au premier et l'énorme pilier médiéval au sous-sol (ils n'y sont pour rien). Et des hermines, des hermines partout. Ce qui nous ramène à notre set de table,gwenn-ha-du en négatif, que nous avons contemplé plus d'une demi-heure pendant que notre estomac rassemblait déjà le service d'ordre et peignait les banderoles pour faire une manif. Pourtant c'est une crêperie bretonne, chic et moderne mais crêperie bretonne quand même, et une crêperie bretonne ça chauffe, ça carbure, ça sprinte, les bilig chauffent à blanc, les assiettes traversent l'espace comme des Ovni dans les effluves de beurre grésillant. Question : quand on met du chic et du moderne dans une crêperie, ça ralentit automatiquement le service ? Par quel mystère la locomotive haletante qu'est normalement une crêperie se transforme-t-elle en sieste d'hippopotame ? Car nous avions beau reluquer jusqu'à l'hypnose notre set de table, il fallait bien reconnaître que là-dessus, il n'y avait pas de crêpe. Toujours pas de crêpe.

CDB amuse

Nous avions bien eu un amuse-bouche : mini-galettes froides de blé noir coupées à l'emporte-pièce, une cuillerée à café de bonnes rillettes et une tête d'épingle de moutarde aux algues. Superbe matière première, quantités homéopathiques, bons produits, chicheté des portions. Un certaine préciosité dans les présentations. On dit parfois que l'amuse-bouche est fait pour donner le ton. Avec celui-ci, c'était réussi.
En effet, les crêpes bretonnes, c'est important. Ça ne supporte pas l'artificialité, ça doit être the real deal, et on ne rigole pas avec. Je ne tiens pas spécialement à ce que ma crêpe soit servie dans un décor de triskells et de lits clos pendant qu'Alan Stivell joue de la harpe, mais pour moi il y a un minimum de simplicité, rustique ou pas, à respecter. C'est pourquoi je ne suis pas fan du Breizh Café, par exemple : ça ne m'apporte rien de savoir que ma complète est fabriquée par des ninjas en Armor-Lux et approuvée par le Fooding. L'essentiel, c'est qu'elle soit de bonne facture, bien kraz (croustillante), convenablement beurrée et garnie, correctement cuisinée et pas trop chère. Le reste, je m'en fous. Pour finir avec le Breizh Café, les crêpes y sont bonnes mais pas assez pour justifier la hype. Même à Paris, il y a mieux. Alors quand j'ai appris que la capitale s'était dotée d'une seconde crêperie pour les riches, je me suis promis d'y passer pour les besoins de la science.

CDB complète

Nous étions placés juste devant la cuisine semi-ouverte. Je ne sais pas pourquoi nous avons attendu, peut-être pour aucune raison. Nous n'avons pas été les seuls à faire cette expérience, d'autres blogueurs me l'ont également rapportée. L'activité en cuisine a traversé une longue période inexplicable de calme plat et s'est réveillée d'un seul coup, de façon tout aussi inexplicable. Des assiettes prêtes à servir s'endormaient longuement sur le passe, caressées par la lumière des lampes à infrarouge. Attendez — j'ai bien dit lampes à infrarouge ? Mais pourquoi faire ? Les crêpes ne sont pas censées attendre au passe. Hum. De là sans doute l'impression qu'ont eue certains critiques et blogueurs de s'être fait servir du réchauffé, alors que clairement on ne sert que ce qui sort du bilig ou de la poêle.
Je n'ai pas photographié ma galette de sarrasin au beurre d'algues, qui était très bonne. Les crêpes sont proposées en petit ou grand format, sachez tout de suite que petit veut dire minuscule et grand veut dire à peu près normal mais un peu en dessous de la taille courante. On passe tout de suite à ma complète (taille "grande"). Là aussi la matière première est bonne mais le kraz laisse à désirer, la texture est un peu avachie par une longue attente. La présentation est, disons-le, pédante. La forme drapée semble avoir nécessité des semaines de recherche et des milliers d'euros d'honoraires de consultant marketing. François Simon, parmi d'autres effets de style, évoque Diane de Furstenberg, et il fait mouche dans la mesure où l'on devine dans ce drapé l'intention de faire chic et élégant, pas comme le commun des blaireaux à truelle qui plient leurs galettes de sarrasin sur le bilig comme de vulgaires, euh, de vulgaires galettes de sarrasin. Parce que c'est ça l'idée. On sent le désir de débarrasser la galette de sa simplicité plébéienne. Mais le plus bête sur l'assiette, ce sont les deux petits rouleaux de jambon, bien séparés de la crêpe. J'ai lu que c'était pour mettre en valeur la qualité du jambon. J'en doute. Même s'il est très bon, ce n'est pas une raison pour le traiter comme une relique à encadrer. Désolée si ça fait beauf de le dire, mais une galette au jambon c'est une galette avec du jambon dedans, ou dessus, ou dessous, mais pas à côté. Cette préciosité est d'autant plus agaçante qu'une galette de sarrasin, c'est de la cuisine de pauvre, du casse-dalle modeste, et ça l'est resté partout, sauf ici. Le choix du fromage fondu n'était pas formidable : pas assez de goût ni de corps. Mais en gros, c'était bon.
Ben s'est jeté comme un loup affamé sur sa galette-saucisse. Je n'ai pas eu le temps de prendre la photo mais là, en revanche, la mise en scène était ultra-simple : juste la saucisse grillée et la galette. La saucisse était de qualité remarquable, mais l'ensemble était sec et minimaliste, ce qui gâchait un peu le plaisir. On était cette fois dans cet autre tic contemporain du "grand produit qu'il faut laisser briller par lui-même", mais honnêtement, comme souvent, c'est du pipeau.
Autre absence de photo, la crêpe dessert. Un peu intimidée par la complexité de l'offre, j'opte pour la beurre-sucre. Et là je tiens le vrai miracle de la maison, la raison de faire le détour, le voyage, le pèlerinage : la Compagnie de Bretagne fait (à la poêle, pas sur le bilig) peut-être les meilleures crêpes sucrées de Paris. Une dentelle, fine et moelleuse. Même moi je n'arrive pas à les faire ainsi.

Récapitulons les faiblesses du lieu :
Cuisine et service spasmodiques, avec grosses crises de torpeur.
Attente incompréhensible des assiettes au passe.
Préciosité inutile, je dirais même abusive, dans la présentation.
Portions nettement insuffisantes. 
Sarrasin pas assez kraz

Les atouts maintenant :
Bonnes matières premières.
Prix assez raisonnables comparés à l'ambition affichée par l'endroit.
Carte bien composée, trouvailles culinaires tirant la crêpe vers le haut — un peu de préciosité là aussi, mais on n'est jamais hors sujet.
Belle collection de cidres (astucieusement mise en valeur par une jolie présentation au sous-sol).
Bon travail en cuisine, même si quelques ajustements sont à désirer.
On n'a pas trop mégoté sur le beurre.
Joli cadre, service sur trois niveaux. 

Conclusion : juste un peu plus de nerf dans la rythmique et un peu moins de coquetterie dans le design culinaire, et le lieu pourrait atteindre une belle vitesse de croisière. En tout cas, les crêpes sucrées à elles seules méritent qu'on y retourne. Apportez de la lecture. 
Pour les galettes de sarrasin, je continuerai d'aller au Pot' O Lait, rue Censier (Ve). 

La Compagnie de Bretagne. 9, rue de l'École-de-Médecine, Paris VIe. Tél. 01 43 29 39 00. Fermé dimanche et lundi.

 

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2 septembre 2011

St. John Bread and Wine, London

fleurs

Pub à Chiswick.

Il a fait un drôle d'été à Paris. Il n'a pas vraiment commencé et il n'en finit pas de finir. Et de toute façon, je ne l'ai pas vu passer, entre les voyages de tournage et de repérage et quelques charrettes qui me sont tombées sur le poil pour cause de défaillance de quelques maillons de chaîne éditoriale. Pas de détente, pas de récupération, tout juste cette semaine à Londres entre le 20 et le 27 août. Je ne m'attendais pas à y trouver du repos car mon agenda restaurants était déjà quasi plein avant mon départ. Comme me l'écrivait Vanessa avant de me recevoir chez elle, "C'est au retour que tu auras besoin de vacances." Oh oui. Mais si je ne me suis pas vraiment reposée, je me suis bien rincé l'intérieur de la tête. La détente morale, c'est aussi salutaire que le repos physique. Et même si, sur le coup, j'ai pensé que beaucoup de mon temps se passait en transports en commun (bus, tube, overground...), c'étaient à chaque fois des voyages rêveurs, la contemplation de la verdure sous la pluie ; bref quelques jours rafraîchissants.

geffrye

The Geffrye Museum of the Home, musée de la vie domestique installé à Shoreditch
dans un ancien hospice du XVIIe siècle.

Nous avions commencé la balade à East Ham. Vous imaginez qu'on ne s'est pas arrêtées aux dosa et au mishti doi. En quelques jours, j'ai pu visiter une petite poignée de restaurants, et non des moindres : dans l'ordre, St John Bread and Wine, The Sportsman, Hedone, The Petersham Nurseries, Khaosarn à Brixton Market et Hawksmoor Seven Dials. Pas un seul repas raté parmi ces six-là : on ne peut pas souvent en dire autant, y compris à Paris. Cela dit je n'avançais pas précisément dans le brouillard, bénéficiant sur place des meilleurs éclaireurs. Ces repas seront évoqués par ordre chronologique, un post à la fois.

st john

St. John Bread and Wine, à Shoreditch, juste en face de Spitalfields Market. Réservations : 020 3301 8069. 94-96 Commercial Street, London E1 6LZ. Tube Liverpool Street, Shoreditch High Street.

Pour Grands Crus classés, Grands Chefs étoilés, j'avais sollicité de quelques chefs une recette d'accord mets-vin pour médoc ou sauternes. Fergus Henderson, chef de St John, nous avait envoyé une épaule d'agneau rôtie à basse température rédigée de sa main en termes si amoureux et si touchants que j'en étais restée admirative. Des conseils, pas une recette : ce que toutes les recettes devraient être. J'ai compris que j'avais affaire non seulement à un type adorable, mais aussi à un rôtisseur. Depuis l'ouverture du restaurant en 1994, j'ai toujours rêvé de visiter un de ses établissements. Et ce lundi 22 août, après une petite balade sous une pluie douce, nous avons déjeuné à St John Bread and Wine.

StJ-pain`

Le pain maison est réputé : avant d'être un restaurant, le lieu abritait les activités boulangères de la maison mère. Il est toujours célèbre pour ses breakfasts. Le pain est en effet remarquable, panifié sur levain à fermentation lente, avec une fine acidité et une texture élastique mais sans excès. Le service du pain, avec son beau cube de beurre, met en confiance et confirme la simplicité qui caractérise le lieu, le décor, les assiettes, les plats. 
J'aime les cuisines britanniques traditionnelles justement pour cela : pour cette harmonie entre la simplicité des préparations et la richesse des produits. Elles sont hautes en goût, terriennes, régionales… Cette description rappelle une certaine cuisine française menacée ? C'est normal. Les gastronomies de terroir, sans être identiques les unes aux autres, se rejoignent par leurs principes. St. John est un excellent endroit pour apprécier cette simplicité. 

StJ-truite

Nous avons choisi de commander plusieurs petits plats et un plus grand, et de partager à la chinoise. Nous commençons par une délicieuse truite en gravlax accompagnée de concombres à la moutarde et à l'aneth. La simplicité, ce n'est pas seulement bon : ça fait aussi de belles photos, parce que pour faire simple en cuisine il faut des produits exceptionnels, or les produits exceptionnels sont beaux et photogéniques. C'est aussi simple que ça. Et c'est, à mon avis, la moitié de tout ce que vous devez savoir sur la photographie culinaire.

StJ-soupe

Il est très rare que je poste ici plusieurs photos du même plat, mais St. John sera l'exception, parce qu'il faut examiner les mets en profondeur. Ils n'ont jamais une seule dimension, ils sont à admirer globalement et dans le détail. Cette soupe de persil au jambon m'a complètement bluffée, car c'était une réussite à tous points de vue, se payant même le luxe de petites touches de génie. La soupe de persil thermomixée est légèrement épaissie (tapioca ? Maïzena ? Je n'ai pas trouvé), mais non crémée afin de préserver la saveur franche de l'herbe. C'est à la fois réchauffant et rafraîchissant. Et le jambon annoncé sur la carte est en fait une sorte de rillette de jambon, de longues fibres de porc émiettées.

StJ-ham

Regardez-moi un peu ça et osez me dire que vous n'avez pas faim, tout d'un coup. C'est rissolé, croustillant, confit, c'est du concentré de saveur, la quintessence de la cochonnitude. C'est phénoménal. Est-ce que j'écris ça souvent, "c'est phénoménal" ? Non.
Excusez-moi d'y revenir, mais n'importe quel crétin aurait mis de la crème dans cette soupe. Je salue le cuistot avisé qui a décidé de ne pas en mettre, car le rapport gustatif entre la légère amertume de la verdure (qu'une cuillerée de crème aurait flinguée) et l'hypercochonnité du jambon croustillant est un vrai miracle. Il y a ici une sacrée réflexion sur les produits, les saveurs, et la relation entre les deux (au cas où certains l'oublieraient — et certains l'oublient —, cette relation s'appelle la cuisine).

StJ-mutton

On ne peut pas dire que ce plat soit beau, mais je suis en mesure de préciser qu'il était sacrément bon. Mouton, laverbread, pommes de terre. Le mouton (et non pas l'agneau) est archiconfit, comme le jambon du plat précédent. Il est cuit avec du laverbread, une algue rouge traditionnellement consommée dans l'ouest du pays (c'est le nori japonais). La cuisson très longue du mouton avec l'algue a produit un jus ineffable, chargé de saveur à la fois marine et terrienne, où les pommes de terre se prélassent très satisfaites. Quelques feuilles de cresson contribuent à l'harmonie. C'est bon, mais le jus est phénoménal. Je l'ai déjà dit ? Tant pis.

StJ-plaice

On continue avec un carrelet entier (plaice, brown butter, sea beet). Quand j'ai vu ça sur la carte, j'ai bondi dessus, parce qu'en France on dédaigne le carrelet et en Angleterre on l'adore. Et ce qu'on adore, on le traite correctement. C'était à prévoir, ce poisson entier, non pelé, parfaitement cuit, est traité avec tous les égards qu'il mérite. Il est assaisonné d'un abondant beurre noisette, de petites câpres et d'une tombée de sea beet, c'est-à-dire de betterave maritime. L'ancêtre, dit-on, de toutes les bettes et betteraves, sauvage et récoltée en bord de mer. Cette plante apporte une merveilleuse acidité, riche et fruitée, je dirais presque framboisée. C'est une révélation. Nous nous régalons.

StJ-câpres

Un petit détail de la garniture de câpres et de betterave maritime... Entre parenthèses , il faut un certain culot pour servir un poisson ainsi, entier, sans artifices, juste garni de quelques végétaux. C'est une réflexion de Parisienne, je sais, mais en France pratiquement plus personne n'ose servir le poisson ainsi au restaurant, et je le regrette. Et même quand on vous le cuit entier, on vous l'épluche hors de votre portée, soustrayant à votre gourmandise les parties intéressantes (les nageoires, les joues, les œufs, les petits machins qui croquent…). Et le plaisir de désintégrer son poisson soi-même ?

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Le carrelet retourné pour manger l'autre côté prend des allures de Chardin. Encore une démonstration de la beauté plastique des beaux produits.

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Terminus, tout le monde descend. Nous avons carrément ratiboisé cette plie. Et ne me dites pas que nous en laissons des petits bouts, là, au bord, parce que dans quelques secondes on aura tout mangé les petits bouts, comme le reste.

StJ-eccles1

Après cela, vous vous attendriez à ce qu'on dise : "C'est bon, un café et l'addition, on a assez mangé." C'est mal nous connaître mais aussi c'est méconnaître le pouvoir appétissant de ce qui est bon. Oui, il y a encore room for pudding. Sans savoir ce qui m'attend, je commande l'Eccles cake and Lancashire cheese. Ce n'est pas un fromage-et-dessert, c'est un repas entier que je vois atterrir devant moi.

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L'Eccles Cake est énorme, rebondi, feuilleté, beurré, et renferme dans sa panse une grosse quantité de raisins de Corinthe. L'alliance avec le lancashire est superbe, mais tout cela est un peu trop et nous décidons de l'emporter en doggy bag afin de nous concentrer sur l'autre dessert. À propos duquel je préfère m'assurer que vous êtes assis.

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Eton Mess au cassis, voilà ce qu'est cette masse venue d'un autre monde. Totalement fin XVIIIe siècle, un peu médiévale aussi, c'est un Tintagel, une forteresse de meringue, de crème fouettée et de baies de cassis que nous attaquons chacune armée d'une cuillère. L'Eton Mess se prépare plus couramment avec des fruits rouges — fraises ou framboises — mais, comme l'observe Vanessa, le cassis est vraiment le fruit idéal à accommoder ainsi. Nous avons tout mangé, et même pas honte. Est-il besoin d'ajouter quelque chose ? La suite au prochain post.

14 avril 2011

Vivant, de Pierre Jancou

faisan

Il est une catégorie de cuisiniers à laquelle j'aime rendre hommage : ceux qui créent une œuvre non seulement par leur cuisine, mais aussi par leur restaurant. La plupart, en même temps que leurs préparations, savent offrir un lieu où l'on se sent bien. Mais rares sont ceux qui parviennent à nous faire entrer dans un royaume aussi marqué par leur personnalité que le contenu de leurs assiettes. Chez eux, tout est en correspondance parfaite : les mets, la maison. Ce sont des créateurs de lieux, des bâtisseurs de thébaïdes. La thébaïde peut être perdue dans les montagnes de Chine comme celle de Dai Jiangjun (nous verrons cela en temps utile), elle peut aussi être au cœur de la ville comme celle de Pierre Jancou.

vivant

Pierre Jancou, vous le connaissez : on lui doit la création de Racines, passage des Panoramas. À l'époque, cette petite caverne d'Ali-baba des vins plus que nature (more than organic) avait fait sensation. On y percevait déjà les thèmes de Pierre : une cuisine chaleureuse, populaire, à base d'ingrédients exceptionnels. Un suavissime café italien. Des épices et des poivres qui nous emportent. Une démarche de terre et de cœur qui est Pierre tout entier. Le nom annonçait déjà tout : "Racines", c'était la bonne voie. C'était très bien. Mais en fait, à notre insu, on n'y était pas encore tout à fait.

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Vivant, c'est exactement le nom auquel Pierre devait arriver. La seule chose qui étonne dans cette appellation, c'est que personne d'autre n'y ait pensé avant. Mais il se peut aussi que Pierre fût le seul à pouvoir l'oser, tant elle résume sa démarche et reflète sa manière douce et entière. L'ouverture de Vivant, avant-hier, 11 avril, dans un des quartiers les plus vivants (ça tombe bien) de Paris, est "un retour aux sources", dit Pierre. L'endroit, fondé en 1903, fut à l'origine une oisellerie, ce que rappellent les extraordinaires panneaux de céramique Art nouveau de l'atelier de Gilardoni (la rue de Paradis est à deux pas) qui recouvrent les murs et même le plafond de la partie antérieure. Avant que Pierre le reprît, c'était le café La Palombe. C'est un nouveau départ et une floraison. Ce décor incroyable est un écho de cette floraison ; il semble avoir attendu ce nouveau propriétaire pendant plus d'un siècle.

culatello

On a commencé avec un verre d'un délicieux vin blanc perlant d'Émilie-Romagne, joliment équilibré entre sécheresse et rondeur. Et quelques copeaux d'un fabuleux culatello cuit, la version velours du jambon, tranché sur la Berkel.

seiche

En entrée, la seiche de Saint-Jean-de-Luz est servie généreusement, garnie des petites asperges vertes d'Annie Bertin. Le céphalopode dont le parfum délicieux me parvenait de la cuisine est parfaitement frais — un peu trop frais peut-être, la chair aurait eu besoin d'un peu de temps pour se détendre.

poularde

Pour continuer, la poularde "Racines". Je n'avais jamais eu l'occasion de la goûter à Racines, maintenant c'est fait. Je comprends tout le bien qu'on m'en disait. Un blanc de poularde landaise désossé à cru, planché avec patience afin que la peau grasse soit croustillante et dorée ; un bref passage sur la plancha de l'autre côté et ce morceau royal arrive sur un assortiment de légumes racines (toujours de Mme Bertin) qui m'ont fait l'effet d'une vraie gourmandise. C'est devant des plats comme celui-ci qu'on ressent les limites du vocabulaire humain. C'est délicieux, surtout avec le verre de côtes-du-rhône "à l'ancienne", le genre de vin qui vous rappelle vous ne savez plus quoi, mais c'est très loin dans le temps et c'est très heureux.

Devant la générosité des portions, j'ai déclaré forfait et devant les fromages italiens, et devant le dessert. Mais je n'allais pas laisser passer l'espresso italien, dispensé goutte à goutte par une superbe Faema de 1961, toute en acier mat et en silence. 28 couverts ; il me semble qu'il va y avoir du buzz.

Vivant, 43, rue des Petites-Écuries, Paris Xe. Tél. 01 42 46 43 55. Ouvert du lundi au vendredi soir, fermé samedi et dimanche.

1 février 2011

Les Deux Stations

carte

Les Deux Stations, 131, boulevard Exelmans (mais on peut entrer par le boulevard Murat), Paris XVIe. Métro Porte-d'Auteuil. Tél. : 01 46 51 89 19. Ouvert tous les jours.

Pour commencer, rien à voir avec Les Deux Stations mais on va y venir. Il me vient juste quelques réflexions avant d'entrer dans le vif du sujet. C'est très bien, les ouvertures de restaurants à Paris en ce moment. C'est devenu si imprévisible, si roulette russe qu'on se dit que c'est un coup des taches solaires, ou de la vague de froid, ou des deux conjugués. Les nouvelles adresses ne sont pas seulement à goûter, elles sont à décrypter : à quoi a-t-on réellement affaire ? À une table ou à un concept ? Quelle est la part occupée par la cuisine dans la chose ? Parfois, amateurs mais aussi experts peinent à décrypter. C'est que ça devient compliqué. Pour l'instant je me dompte, mais je crains que vous n'ayez pas fini d'en entendre parler.

Pour rester dans les généralités, je suis un peu étonnée de la floraison actuelle de la restauration concept à Paris à une époque d'économie pingre où il serait au contraire plus raisonnable de retourner aux sources et de proposer de vraies choses à manger plutôt que des idées à manger. Je me trompe, ou il y a eu un truc bien glauque qui s'appelait le second semestre 2008 ? On dirait que certains ne l'ont pas senti passer. Quelques thèmes : chinoiseries en toc, orgie de thés parfumés (au Barbouze de chez Fior, généralement), et récemment le plus grandiose : "Thés, Tatouages, Underground et Gastronomie de luxe". Sans déc'. Si le bazar qu'est la réunion de ces quatre éléments fait sourire, leur appariement deux par deux* donne carrément des crampes. L'association underground-gastronomie de luxe mérite des claques. Mais le binôme thés-tatouages, lui, mérite le prix Vermot. Vous vous voyez siroter un thé en vous faisant tatouer ? Vous imaginez juste une minute de la chose ? Moi, je commande une vodka, un bourbon, un alcool de serpent afin de ne pas tourner de l'œil. Alors ajoutez un troisième élément, la pâtisserie gastronomique de luxe — disons au hasard une religieuse couleur lilas —, et imaginez la scène.

* Oui, parfaitement, pléonasme, mais j'aime bien enfoncer des clous de temps en temps.

ensemble

Mais au lieu de cette vision qui fait frémir, c'est quelque chose de plus modeste que je vous propose ci-dessus. Samedi dernier, alors qu'un froid sibérien recroquevillait la Porte d'Auteuil, je me tiens devant Les Deux Stations où je dois retrouver mon cher ami John Talbott, que je ne peux décrire autrement que comme un ange qui visite des restaurants. Au beau milieu d'une chaussée déserte, sans gros risque de me faire renverser par quelque véhicule motorisé, je déchiffre l'enseigne : quelles deux stations ? La station-service juste à côté et la station de métro juste en face. Ah ah, c'était donc ça !

enseigne

Ce vieux rade de porte de Paris fondé en 1912 a conservé les beaux caractères arts-déco de son enseigne en relief. Il a été repris récemment par le groupe Bertrand, qui semble s'être cassé la tête pour rénover l'endroit sans dénaturer son allure gouailleuse : on n'en a pas fait des tonnes mais on en a fait beaucoup tout de même, tout en se donnant l'air de ne pas avoir l'air, je ne sais pas si je me fais bien comprendre : allez-y, vous verrez.

salon

On a, par exemple, fait un "coin télé" dans la petite arrière-salle, les décorateurs se sont lâchés autour d'un Téléavia d'époque, composant la scène d'après l'idée qu'ils se font des années 50-60 (ils n'étaient pas nés). C'est rigolo tout en étant, que dire, un poil forcé. Mais je dois me garder d'être injuste : l'ensemble est plutôt bien fait, avec une touche d'humour, et assez joli somme toute. Les personnages du roman de Queneau Pierrot mon ami (qui évoluent pas très loin de là, près de la porte Maillot) s'y trouveraient comme chez eux.

Je n'ai pas gardé la carte de la maison, mais elle m'a intriguée par son concept (encore lui !). Les Deux Stations s'y affiche "bistrot populaire" et sur le verso de la carte le mot "populiste" est barré. Très bizarre. J'ai réfléchi une ou deux minutes afin de comprendre ce que le cabinet de créa-com avait bien voulu dire par là. Pourquoi cet emploi d'une rhétorique politicienne pour le moins floue et multivoque à propos de ce qui se veut un restaurant à la bonne franquette ? C'est un peu déplacé, ça donne l'impression d'assister à un débat télévisé ou de lire les commentaires des internautes de Libé alors qu'on se prépare à attaquer son boudin-purée. Mais parfois — et surtout quand on a affaire à du pur jus de cabinet de créa-com — la vérité, c'est qu'il n'y a rien à comprendre. Comprenons-le ainsi.

blanquette

Ou alors "populaire mais pas populiste" ne serait peut-être là que pour éviter d'épouvanter la clientèle NAP, reflétant ainsi ses préoccupations rhétoriques ? Bon, après tout, ce ne sont pas mes oignons. Oignons que je trouve petits, entiers et bien rissolés dans ma blanquette de veau servie en cocotte Staub. Le veau est tendre, fondant, gélatineux (épaule ou jarret sans os), la sauce suprême est bien réalisée, crémeuse quoique un tout petit chouïa séparée, les champignons croquants.

riz

Matez le riz, messieurs-dames : les mots me manquent. Ce n'est pas un basmati aux longs grains d'ivoire qui refusent de s'effleurer entre eux même du coude ; ce n'est pas un riz persan cachant sous sa couche neigeuse un tadigh croquant ; ce n'est pas un risotto à la truffe blanche dont chaque grain a été poli avec une peau de chamois ; ce n'est pas un aristocrate des riz en paella tel qu'on s'en régale au Fogòn d'Alberto Herraiz ; c'est le riz de tata Raymonde, celui qu'elle servait avec sa blanquette et qui collait un peu, mais qu'on avalait avec gratitude parce qu'il prenait bien la sauce sans nous prendre la tête. Franchement ça méritait une photo. Un vrai riz de Routiers, de repas dominical, de Quatrième République.

_perlans

Avant de succomber, moi à la blanquette, John au parmentier de confit de canard, nous avons choisi une friture d'éperlans en entrée. Moi, je suis fan d'éperlans, je nettoie mon assiette. John (qui est un ange, je ne sais pas si je vous l'ai dit) trouve qu'il y en a trop. J'en profite pour lui piquer son reste de sauce tartare. On se croirait à la cantine. Les poissons sont frais, croustillants, un peu lourdement farinés mais globalement sympa.

mousse

Excusez-moi de raconter ce déjeuner dans le désordre. Au dessert j'ai pris une mousse au chocolat. Dense, assez fortement chocolatée, pas très légère mais correcte. Et surtout en quantité démesurée : il y en a assez pour un match de mud wrestling, au moins.

Qu'en penser ? C'est pas mauvais, c'est honnête même, ça respecte le répertoire bistrot auvergnat sans jouer ni tout à fait la carte néo ni tout à fait la continuité. La digression au début de ce post n'était pas si hors-sujet que ça, parce que la question du concept mérite d'être posée : sous des dehors innocents et Tontons Flingueurs, on a fait du concept sans vouloir en faire, mais c'en est. Ça reste tout de même dans des limites raisonnables, et comme par ailleurs on n'y mange pas mal, je n'ai aucune objection. Mais ne traversez pas tout Paris, tout de même. Je l'ai fait pour John, et sans hésitation, mais pas spécialement pour le resto.

25 décembre 2010

Grandma's Kitchen, Hangzhou

setting

Grandma's Kitchen (The Grandma's), plusieurs adresses à Hangzhou. Voir le site hangzhoutravel pour plus d'informations.

Un petit tour à Hangzhou (Zhejiang) la semaine dernière m'a valu de belles découvertes. D'abord les conceptions de Dai Jiangjun, qu'on peut difficilement appeler des restaurants tant leur philosophie et leur ambition s'étendent bien au-delà de la restauration : il s'agit de nourrir au sens profond du terme (j'y reviendrai ultérieurement). Ensuite, j'ai pu m'initier à une cuisine différente de la tradition cantonaise, qui est celle que je connais le mieux en Chine. Hangzhou, si proche de Shanghai, et pourtant si différente par les saveurs. La ville est étendue plus qu'elle n'est grande, l'espace y est généreux, les avenues larges. On aime manger ici et l'on mange très bien : une ancienne tradition "gourmande-lettrée", raffinée, aux textures nettes et aux goûts clairs. La province produit le délicat thé vert long jing, dont une des zones de culture est carrément aux portes de la ville, autour du lac de l'Ouest. Elle produit aussi le meilleur jambon de Chine, le très racé jambon de Jinhua, utilisé exclusivement en cuisine. Sans oublier le vin de riz de Shaoxing, tout près de Hangzhou. Précieux en cuisine, délicieux à boire.
The Grandma's (Grandma's Kitchen) est une chaîne locale qui compte actuellement six adresses dans Hangzhou. C'était à l'origine un petit bar à nouilles qui a beaucoup grandi. Depuis, les grands-mères affichent complet. C'est comme aux Boucheries Bernard ou au service des visas de l'ambassade de Chine (mon souvenir d'attente administrative le plus vivace), il faut prendre un numéro et attendre qu'on vous appelle. Gare à vous si vous ratez l'appel de votre numéro : vous êtes bon pour en reprendre un, et c'est reparti. Si la table convoitée se trouve dans un des restaurants établis dans un centre commercial, essayez de ne pas vous laisser tenter par les Gucci, Prada, Dior, Ralph Lauren, ou plus simplement par les magnifiques carrés de soie du Zhejiang qui vous aguichent de leurs couleurs çà et là. Ne ratez pas le coche, surtout si vous avez faim. Et même si vous croyez manquer d'appétit, je vous garantis que vous aurez les crocs une fois que vous aurez aperçu, en chemin vers votre table, ce qui se déguste autour de vous.
Grandma's Kitchen sert exclusivement de la cuisine de Hangzhou, et l'étendue de la carte donne une idée de la richesse du répertoire. Le décor est élégant, néo-chinois dans les tons bruns et or, l'espace est vaste, les tables sont confortables. Les parfums échappés de la cuisine ou picorés aux tables voisines sont ensorcelants. Les plats sont vivement réalisés, frais et croquants, aussi beaux que bons.
Cette chaîne me paraît un excellent moyen de s'initier pour pas cher (les prix sont plus que raisonnables) à la gastronomie de Hangzhou.

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Notre hôte commence par commander un des mets préférés de son épouse : des tripes de porc sautées, légèrement pimentées et vinaigrées, mélangées avec ciboules et cacahuètes.

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La soupe, incontournable de tout repas chinois. On aime les soupes à Hangzhou. La veille, au Long Jing Manor (dont il sera question plus tard), on nous en a servi cinq ou six au cours du repas. L'art des bouillons est consommé (sans jeu de mots) dans le Guangdong, mais le Zhejiang n'a rien à lui envier. Ci-dessus, une soupe de boulettes de poisson, un petit chef-d'œuvre de minimalisme chan. Les boulettes sont légères comme du duvet et le bouillon est si clair qu'on croirait voir de l'eau chaude. Il n'en est pas moins riche de saveurs. Du grand art.

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Foie de porc sauté au pak choy. Le foie est d'une qualité extraordinaire, en tranches fines, ferme et fondant.

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Je retrouve ici un plat dont je raffole et que j'ai trop rarement l'occasion de manger : un poisson entier frit à la sauce aigre-douce. À Paris, peu de restaurants savent le faire. À Canton, on n'aime pas trop ça, parce qu'on estime que la grande friture et la sauce masquent le goût naturel du poisson. Ça n'en demeure pas moins une immense partie de plaisir quand c'est bien fait. Et c'est bien fait : la sauce aigre-douce parfaitement équilibrée, non grasse, sans excès de sucre ni d'acidité, et le poisson croustillant à souhait.

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Ça pourrait être un dessert mais ce n'en est pas un. C'est un "plat de dame", comme on l'appelle. Doux et sucré mais servi en même temps que les autres plats. Cela pourrait être écoeurant mais c'est parfaitement maîtrisé. Des racines de lotus farcies au riz gluant, puis nappées d'une sauce sirupeuse à la fraise et à l'osmanthus. Une merveille de design culinaire sans en avoir la prétention.

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24 décembre 2010

Taotaoju (Canton) : c'est quoi, le "vrai" dim sum ?

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Taotaoju, 20-22 Di Shi Fu Lu, quartier de Liwan, Guangzhou. Ouvert tous les jours de 9 heures à 22 heures. Métro Huangsha ou Changshou Lu, tél. 020-81380951. Compter environ 40-50 RMB par personne. Spécialités : 200 variétés de dim sum, congees, soupes, fruits de mer.

Ouvert en 1880, rénové en 2000, Taotaoju est une institution cantonaise. Grand, bruyant, animé — comme des centaines d’autres dans la ville —, ce restaurant-maison de thé est apprécié depuis des générations pour la qualité de ses dim sum, yam cha en cantonais, littéralement “boire du thé” (et sous-entendu “et manger ce qui va avec”). Le décor est juste fonctionnel, sans être spartiate, mais on le remarque à peine. On est là pour s'asseoir, manger, boire, payer et sortir.

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Le dim sum, là où il apparaît en France (du moins dans sa version tendance), fait l’objet d’un malentendu croissant. La petitesse des portions laisse entendre que la cuisine doit se conformer à un idéal de délicatesse, voire de préciosité. C’est d’ailleurs un thème qu’ont choisi d’exploiter les nouvelles adresses parisiennes qui font dans le "dim sum concept" et le vendent comme objet de mode (j’y reviendrai après mon retour à Paris).

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Bien. Quand on est devant l'authentique, on peut comparer. La première idée fausse à s’envoler est celle de la petitesse des portions. Un panier ou une assiette de dim sum, ça se partage — ce jour-là, par exemple, à quatre. Mine de rien, c’est tout sauf précieux.

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En effet, délicatesse et préciosité rejoignent bientôt les petites portions au cimetière des idées inexactes. Voici ce qu'on nous apporta ce jour-là à table : tripes de bœuf braisées, pattes de poulet fondantes, travers de porc sur lit de pommes de terre, siu mai (dumplings ouverts) dodus, har gau (dumplings de crevettes) bien rebondis. C’est roboratif, nature, sans façons, chaud et réconfortant : bref, c'est cantonais, ce n'est pas de la cuisine éthérée. "Cuisine canaille" est le terme qui convient le mieux.

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Plan rapproché pour vous signaler un must absolu de ce restaurant, les délicieux malako vanillés (gâteaux levés cuits à la vapeur, les trois rouleaux jaune pâle au centre).

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Et comme dim sum ne veut pas nécessairement dire “panier vapeur” (il y a aussi des fritures, des braisages, de la pâtisserie, et des cuissons vapeur sans panier), nous craquons devant une belle assiette de cheung fun au bœuf (crêpes de riz roulées faites à la minute). Un de mes plats préférés : c'est tout en douceur, en soyeux, en saveur, c'est substantiel sans être lourd, c'est à l'extrême du comfort food.

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Si les malako subtilement sucrés vous ont donné un petit goût de reviens-y, le complément de dessert est à deux pas. Comme on est dans l’ancien quartier de Liwan, vous n’aurez pas à aller loin pour trouver les gargotes et pâtisseries où déguster shuang pi nai (flan de lait double-peau) ou petits gâteaux feuilletés en forme de pêche ou de lapin. En fait, c’est juste en face.

5 décembre 2010

Saravanaa Bhavan

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Saravanaa Bhavan - 170, rue du Faubourg-Saint-Denis, Paris Xe. Tél. 01 40 05 01 01. 80 couverts, ouvert tous les jours de 11 heures à 23 heures sans interruption. Métro Gare-du-Nord. 10-12 € par personne.  http://www.saravanabhavan.com/

"Success begets success. When the efforts are sincere, intention noble and the aspiration high, success is a natural byproduct. However, we don't believe in resting on our laurels. We have always reinvented ourselves in our unswerving endeavor to offer unrivalled quality and taste."

Ces mots figurent en exergue sur la page d'accueil du site de la chaîne de restaurants Saravanaa Bhavan (car c'est une chaîne). Qu'en penser ? Que pour une fois, la muse des coms de presse ne se paie pas notre tête.
Un peu étonnée que ça ne fasse pas plus de bruit que ça, mais c'est ainsi : le Saravanaa Bhavan est un restaurant de spécialités végétariennes d'Inde du Sud et c'est spectaculairement bon. Ce n'est pas seulement une grande rareté à Paris, c'est aussi, pour autant que je sache, unique. En effet, les plats s'élèvent bien au-dessus de la moyenne parisienne des cantines indiennes, qu'elles s'inspirent du Sud ou du Nord. Je vais faire court et général pour ne froisser personne, mais la gastronomie indienne est depuis longtemps très mal représentée à Paris. On avait quelques bonnes adresses il y a deux décennies, et puis tout fut balayé pour laisser place au grand n'importe quoi : viandes précuites plongées au dernier moment dans l'une des deux ou trois sauces disponibles, cheese nan à la Vache qui Rit, pakora boursouflés dominés par un légume sculpté inutile (qui sert pour plusieurs services), tandoori plus colorés que savoureux, salles dégoulinantes de stucs Chantilly compensant mal la pauvreté aromatique des assiettes, guides et critiques benoîtement satisfaits de tables médiocres, et partout une désastreuse absence d'épices, de fraîcheur, d'arômes, de goût. Pour manger indien correctement, il fallait traverser la Manche, aller en Inde ou à Clermont-Ferrand (oui, sans blague). Plus tard, même les gargotes tamoules ou srilankaises entre la gare du Nord et La Chapelle se révélèrent décevantes : la cuisine y était pleine de bonnes intentions mais restait rudimentaire. Mieux valait se servir dans les nombreux Cash and Carry du quartier et cuisiner indien chez soi.

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Et puis la fée des chaînes internationales a frappé Paris de sa baguette, après avoir comblé le reste du monde (comme vous pouvez le lire sur l'extrait de la carte ci-dessus) : tout commence à Chennai (Madras) quand une famille de gourmands végétariens décide d'ouvrir un restaurant. Bientôt le lieu lance des tentacules dans toute la ville avant de s'étendre à d'autres villes indiennes, Suivront les Émirats, la Malaisie, Singapour, les États-Unis et enfin Paris-Gare du Nord. On peut remercier la bonne fée. Elle n'était pas forcée de nous faire cette fleur, surtout à cet emplacement pas très réjouissant, au flanc de la gare, juste au-dessus d'un des carrefours les plus désorientants de la ville.

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Pourquoi cette chaîne fait-elle le tour du monde ? Parce que c'est du très beau travail. La constance et l'authenticité de la cuisine ne font l'objet d'aucune concession, d'aucun compromis. Tous les cuisiniers viennent d'Inde du Sud où ils ont été formés par la maison. On n'a pas édulcoré les goûts pour le public parisien car on s'adresse en priorité à la communauté indienne et srilankaise, qui prend place en solo, en duo ou en famille aux grandes tables vernies avec un air de parfaite confiance, voire d'abandon. La carte est d'une richesse étourdissante — n'essayez pas de tout goûter en une fois, il vous faudra plusieurs visites pour commencer à vous repérer —, offrant plusieurs styles : végétarien d'Inde du Sud, végétarien d'Inde du Nord, sino-indien préparé au wok, etc, sans oublier les snacks, pains et galettes, desserts et boissons. Notez que les lassi (consistants) ne sont pas servis glacés, ce qui est peu moderne mais plus conforme à l'ayurveda.

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La salle ne présente aucun excès de décor mais elle est vaste, confortable, fonctionnelle. C'est délicieux, on est servi rapidement par un personnel agréable, c'est pas cher, tout explose de saveur car on ne s'est pas retenu sur les épices. On n'a pas non plus lésiné sur le ghee (beurre clarifié), et le ghee, comme révélateur de goût, c'est comme le beurre, en mieux.

Un mot en passant sur les cuisines non omnivores. D'un strict point de vue gastronomique, il y a deux manières de réussir une cuisine végétarienne - la bonne et la mauvaise -, et la majeure partie du monde utilise la mauvaise. La mauvaise est une cuisine de substitution, la bonne est une cuisine de création. La première consiste à imiter la cuisine omnivore en substituant des protéines végétales aux protéines animales, en un mot à imiter la viande et le poisson. La seconde consiste à créer une cuisine végétarienne à part entière sans référence à l'omnivorisme, comme si seul existait le végétal, en exploitant les procédés culinaires et accords aromatiques appropriés à la gamme d'aliments utilisée. C'est-à-dire ne rien remplacer, apprécier les végétaux pour eux-mêmes et les cuisiner sans chercher à leur faire jouer un rôle pour lequel ils ne sont pas faits. Cette dualité explique que le végétarien en Occident soit historiquement morose et insipide ; son goût est toujours celui du pis-aller, voire de la punition, il lui manque quelque chose, ce qui parfois (franchement) semble correspondre à l'effet recherché. Seules les cultures culinaires européennes habituées depuis longtemps aux jours maigres — la grecque notamment, héritage de la religion orthodoxe — ont su développer une cuisine végétale vraiment savoureuse. Malgré mon admiration pour les cuisines chinoises, je n'en ai aucune — jusqu'à ce qu'on m'oblige à changer d'avis — pour le style bouddhique où les protéines de soja remplacent les éléments carnés dans les plats classiques. Il y a à Paris une ou deux adresses qui servent cela, par exemple le Green Garden rue Nationale. Je trouve cet exercice de style bien préparé mais sans aucun intérêt : si je veux manger végétarien, je préfère me concentrer sur la qualité intrinsèque des aliments végétaux et je n'ai aucune envie qu'on me serve de l'ersatz de viande. Pour moi, l'obligation de garder cette référence au régime carné trahit un manque d'adhésion à la résolution végétarienne, une incapacité à se sevrer des modèles omnivores et donc une forme de coup d'épée dans l'eau voire de masochisme alimentaire. Dans ce cas, mieux vaut manger un bon steak et cesser de se torturer. Donc, pour conclure cette digression, la tradition végétarienne du subcontinent indien est à mon sens la seule qui ait tout compris et fasse acte de création sans être une parente pauvre de l'omnivorisme. Mais à condition, bien sûr, que toutes les épices y soient. Sinon, c'est tout aussi catastrophique que les protéines de soja. Quand la trame aromatique, en revanche, est bien présente, c'est si bon que tout le monde se fiche que ce soit végétarien ou non.

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Les mini-idlis (petits pains de riz et de lentilles fermentés cuits à la vapeur) sont servis dans une sauce tomatée riche en feuilles de kari et garnie de coriandre. Des chutneys frais et des sauces accompagnent chaque plat ; ici à la noix de coco et aux graines de moutarde.

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Le gigantesque, croustillant, aérien masala dosai (ici commandé dans sa version "ghee", c'est-à-dire saturé de beurre) est une des grandes spécialités de la maison. Il renferme une écrasée de pommes de terre irréprochable, subtilement parfumée à l'asa fetida et au cumin.

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Vadai (beignets de lentilles) servis dans une riche sauce au yaourt.

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Comme j'ai du mal à résister au masala dosai, j'ai tendance à oublier qu'on fait ici un très bon thali d'Inde du Sud : délicieux paratha (galette au beurre), papad, riz (pas terrible, le point faible du restaurant) et plusieurs accompagnements : curries de légumes et de dal (lentilles), sauces, chutney au tamarin, rasam (bouillon de dal), raita (condiment au yaourt et aux légumes), yaourt égoutté et halva de semoule. Halva d'ailleurs savoureuse : le ghee, évidemment. Tout est bon avec du ghee.

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On termine par un thé aux épices (masala chai) bien muddy (bourbeux) comme il doit être, cuit et concentré, surtout marqué par la cardamome.
La fraîcheur des ingrédients est remarquable, la longueur aromatique des plats vous réchauffe longtemps après que vous êtes sorti du restaurant. J'ai même entendu quelqu'un, au moment de faire son choix sur la carte, évoquer ce qu'il commanderait à la visite suivante. Non, j'ai beau chercher, je ne vois rien à reprocher au Saravanaa Bhavan.

3 décembre 2010

Le Bouchon et l'Assiette : enfin !

Ça commençait à bien faire, on n'y croyait plus. Enfin, je et un autre avaient fini par ne plus y croire. À force de m'être fait servir trop de repas mal fichus, trop de plats approximatifs parfois aggravés par l'accueil et le service, je commençais à me faire de sérieux soucis au sujet de la restauration parisienne à prix raisonnables. Et en particulier du genre bistrot dans sa version contemporaine, sur lequel j'ai beaucoup à dire, que je ne dirai pas faute de temps. Je résumerai juste en disant que le genre ne s'est pas prolongé à travers les néobistrots et autres bistronomiques, mais que ces derniers (avec les meilleures intentions du monde et non sans talent) n'ont rien fait pour empêcher sa disparition quasi totale. Le préserver n'était d'ailleurs pas leur rôle, qui était surtout de le remplacer avec une certaine similitude dans les formes mais non dans l'esprit. En d'autres termes, le bistrot — avant tout une forme de restauration populaire, comme feus le bouillon et la crémerie — est un monument du passé, et ce qui s'appelle désormais bistrot n'est pas du bistrot. Je reviendrai peut-être là-dessus : c'est plus une affaire d'économie et de civilisation que de restauration.
En attendant, je suis allée déjeuner hier au Bouchon et l'Assiette, dans les parties intimes du XVIIe (ce gentil no man's land assis sur une fesse  au bord des voies de chemin de fer, entre la cossue plaine Monceau et les populaires Batignolles/avenue de Clichy) en compagnie de mon cher ami John qui ne manque pas de vous donner sa version du repas. Cartes sur table : la mienne frise l'enthousiasme. À Paris, ça ne m'arrive pas tous les jours.

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Ils sont tout jeunots, Cécile et Clément (jolis prénoms, et bien assortis !), mais ils ont déjà un sacré CV. Ils sont passés chez Dutournier, Fréchon, Michel Sarran. Ils ont investi ce petit espace lumineux, gratté la belle pierre de taille des murs qu'ils ont réchauffée des splendeurs graphiques de quelques affiches anciennes (Aéropostale et cognac, tout ce qu'on aime), bref ont fait preuve pour le décor d'un goût sûr et équilibré. Hier, midi trente, je m'assois telle une vieille taupe désabusée sur ma chaise Thonet : encore un bistrot (soupir) ! Je ne me doute pas de ce qui m'attend. Ce qui va se produire n'est pas un grand bouleversement mais un petit miracle, et c'est beaucoup, par les temps qui courent.

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La qualité du pain et un coup d'œil à l'ardoise me font dresser le sourcil. Je déchiffre le rébus : s'il y a écrit "boudin du Cantal", cela ne peut être que… oui, renseignements pris, c'est bien du boudin de la ferme du Bruel. Excellent augure. D'autant que cette ardoise est totalement exempte de name-dropping et indemne du syndrôme Hugo-Joël (ceux qui en ont aussi marre que moi comprendront l'expression). Si l'on va chercher son boudin au Bruel, c'est qu'on prend ici les produits très, très au sérieux. Par ailleurs, la tonalité basque est très affirmée : cela annonce finesse, personnalité, puissance de goût et même carrément le pied si tout se passe bien.

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Mon œuf poché, crevettes roses et leur bisque confirme cette bonne intuition : quoique servie tiède, cette soupe est fine et forte en goût, chaque ingrédient claque de fraîcheur — crémosité, mousseusité, et la petite touche culottée de quelques bribes d'oignon blanc qui croque. Quelques degrés Celsius de plus et ce serait parfait, mais à part cela, bravo, vraiment.

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D'autant que John a choisi, lui, le velouté de châtaignes à la soubressade. La crème chaude est onctueuse (un poil trop liquide, petit détail), illuminée par le goût piquant et long de la soubressade qui souligne et limite ce qui autrement se perdrait dans une douceur rêveuse. Notez au passage ce fait remarquable que sur une liste de cinq ou six entrées à la carte, il y a deux soupes (et que nous les avons choisies). Mon intérêt curieux fait place à un vrai début de contentement. J'ai bien fait de me lever ce matin, on est en train de nous servir de la vraie cuisine.

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On monte en puissance avec les plats : voici la canette de John, qui se passe de commentaire si vous avez des yeux pour voir. On lui demande quelle cuisson il désire et on écoute sa réponse avec une attention soutenue qui fait plaisir à voir. J'en profite pour lui apprendre l'expression "bleu mais chaud". Dont acte. Jolie purée de céleri, légère et duveteuse.

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Mon dos de cabillaud servi sur une fondue de tomate et de poivrons, nappé d'une crème mousseuse, est cuit avec une justesse remarquable — là aussi, ça faisait une paye — et une sorte d'exaltation du produit typiquement basque. Basque rules. Basque food kicks ass. Excusez-moi, je m'emporte. Vous le feriez à moins.
J'ai terminé par un bon saint-nectaire fermier de Mme Dubois, deux généreuses portions un peu froides et manquant un peu d'affinage. Nous avons accompagné tout cela d'une carafe de carignan ma foi très honnête pour un vin issu de ce seul cépage : frais, velouté et juste assez dense pour s'adapter à tous les plats.
Cécile et Clément, vous servez des repas qui mettent en joie. Un petit poil d'attention sur les températures et la consistance des soupes est attendu, mais surtout que ça ne vous dissuade pas d'en mettre deux à la fois au menu. Trois, quatre même si ça vous chante. Quand le peuple reconquerra la cuisine, ça passera d'abord par la soupe.

On peut y aller ? Oui. Je crois même que vous pouvez traverser Paris. Je l'ai bien fait, moi.
Les prix ? Modestes vu la qualité servie : comptez une bonne trentaine d'euros au déjeuner.

Le Bouchon et l'Assiette. 127, rue Cardinet, Paris XVIIe. Métro Rome, Malesherbes. Bus 31 et 53. Tél. 01 42 27 83 93.  Fermé dimanche et lundi.

2 décembre 2010

Prolégomènes

PoulePF

Bonjour, je suis Ptipois le Guide et je suis un blog-guide de restaurants et de bonnes choses qui se mangent. Mais pas que ça. Je prolonge et complète le blog Chez Ptipois ainsi que Ptipois' Wines que vous connaissez déjà (ou non) et je recevrai, soit sous forme de créations, soit sos forme d'archives, les posts de chroniques restaurant, cafés, pâtisseries, cavistes, boutiques et trucs divers. À Paris principalement mais aussi ailleurs, car ce blog ne prétend pas à l'exhaustivité ni à la course forcenée à la nouvelle ouverture. Je suis pour ma part tout neuf et pas très sec derrière les oreilles, je n'ai encore aucune catégorie, ni aucune ligne éditoriale à part celle déjà perceptible (or not) dans les autres blogs de mon auteur, et il n'est pas impossible que celle-ci transfère ici quelques posts de critique resto qu'elle avait commis çà et là, histoire de rassembler les poussins sous la bonne poule.
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